Comment était-elle arrivée là ? La question se poserait encore à de nombreuses reprises. Elle avait pris l'apparence de Macha Polikova : cheveux blonds, visage de poupée, joues rondes, grands yeux sombres, sourire charmeur. Elle faisait plus jeune que d'habitude, et sa mission pour ce soir était de faire disparaître un homme qui avait ses habitudes dans cette nouvelle discothèque. Alors, elle avait dû se fondre dans une foule nocturne qu'elle ne connaissait que très peu, et côtoyait d'ordinaire encore moins. Faisant à mauvaise fortune bon cœur, Macha avait l'air de s'amuser comme une petite folle -si seulement !- et dansait à en perdre le souffle, se déhanchant et bougeant au gré de la musique. Vraiment, on aurait eu du mal à imaginer que cette femme était mariée, fidèle, sérieuse, tueuse à gages et sœur du Ministre. Tout cela à la fois, oui. Elle avait bu, bien sûr, ou avait l'air d'avoir bu comme une idiote, prenant les verres qu'on lui offrait avec un sourire amusé, et les vidant d'un trait.

À vrai dire, Macha tenait bien l'alcool, et n'était absolument pas troublée par ce qu'elle avait bu. Ses muscles étaient tous prêts à la détente s'il fallait bondir. Pour le moment, elle n'avait pas encore repéré sa cible, mais elle préférait faire mine de se fondre dans la foule. Bien sûr, sa tenue était signe d'une fille de petite vertu, mais qu'importe, c'était l'idée du rôle. Elle devait montrer qu'elle était efficace, après tout, elle avait une réputation à sauver. Rook ne lui faisait pas confiance et elle sentait qu'il y avait anguille sous roche. Donc il fallait qu'elle fasse de nouveau ses preuves. Alors qu'elle les avait fait quatorze ans de cela. Parfois, elle avait des envies de meurtre sur son beau-frère. Juste "parfois" ? Mh, bon. Mais elle n'avait pas grand chose à lui reprocher pour le moment, à part de vouloir la mort d'un homme qui comptait énormément pour elle. Passons. Elle oubliait toutes ces histoires pour le moment, son corps ondulant avec la musique. Elle ne se souvenait pas qu'elle pouvait bien danser. Peut-être sa perception des choses était dérangée par ce qu'elle avait bu après. Peut-être l'avait-on droguée ? mmh. Non. Quoique. Peut-être que le bellâtre qui avait un sourire de charmeur, un peu plus loin, était en fait un gros patapouf. Elle n'en savait rien, à vrai dire. Elle ne s'en souciait pas, finalement.

Alors qu'elle était toujours en train de se déhancher sur la piste, une présence se fit sentir dans son dos et de détendu, son corps devint complètement tendu. Qui était-ce ? Sa cible ? Non, ça aurait été trop beau. Le corps de l'homme était plutôt petit, se dit-elle sans se retourner. Un nain ? Ou un homme de petite taille, simplement. L'autre la prit par le poignet et l'entraîna à sa suite. Elle avait repéré sa cible, assis plus loin, et se dit qu'il lui suffisait d'être docile et de suivre l'autre, de s'en débarrasser gentiment, et de revenir à celui qu'elle devait liquider. Voilà donc que son colleur l'entraînait vers le bar, où elle s'assit tandis qu'il se hissait sur une chaise. Elle regardait le reflet de la cible dans le miroir, et entendit la voix de l'autre lui murmurer qu'elle était vraiment charmante, et ravissante dans cette tenue subtilement choisie. La blonde demoiselle leva les yeux au ciel, se demandant s'il allait continuer ainsi longtemps. L'autre posa sa main sur sa cuisse, et ce ne fut qu'à ce moment qu'Avdotia le regarda. Coup d'œil à l'autre.

Elle savait qu'il était petit de taille, mais elle n'aurait jamais imaginé que ça serait un gobelin.

Elle manqua de faire un bond. L'autre lui raconta que son palpitant s'était emballé lorsqu'il l'avait vue, et il faillit carrément poursuivre par une demande en mariage (il était vraisemblablement ivre… ou bien la croyait ivre, peut-être) lorsqu'elle le rembarra. Le remerciant doucement de ses compliments, Macha prit rapidement congé, pour disparaître dans la foule et réapparaître à l'autre bout du bar, aux côtés de l'homme qu'elle avait repéré… et qui l'avait observée se faire draguer par un gobelin. Quelques plaisanteries et rires idiots plus tard, elle repartait avec l'homme, et prétextant qu'elle lui offrait un verre chez elle, elle l'entraîna dans une ruelle assez sombre (« Oui, c'est un peu glauque, mais si vous saviez le mal que j'ai eu à trouver à me loger ! » avança-t-elle) et le liquida là, en l'égorgeant.

Finalement, rencontrer un gobelin avait été assez… utile.