Ton visage est passé sur ma vie à l’occasion d’un sourire éternel qui n’a duré que l’amour d’un instant.

Je t’attends. Pieds dans la merde, manteau colé à la peau, j’attends l’arrivée de mon cousin. L’air extérieur est sec et poignant. Malgré l’année que j’ai déjà passé ici, je n’arrive toujours pas à me climatiser au climat. Trop venteux, trop gris, trop anglais. Main dans les poches, je regarde mes pieds, regrettant de ne pas pouvoir fumer de cigarette à l’intérieur de la gare. La fumée du train m’étouffe, le bruit m’agresse, les gens me donnent envie de m’enfuir en courant. Je le fais pour lui, parce qu’il a toujours été là pour moi, j’attends qu’il arrive. Marie-Ange ne m’a pas accompagné. Elle, Gust et moi, un tableau inconcevable. Ridicule même. Deux de mes amants se rencontrant par ma faute. Mais Marie-Ange ne le sait pas, personne ne le sait, personne ne va le savoir. Gust et moi sommes liés par le sang. C’est un fruit interdit, une limite à ne pas franchir, mais aujourd’hui, plus aucune limite ne me retient. Nous n’aurions pas dû, mais c’est trop tard maintenant.


J’ignore l’heure exacte de son arrivée dans ces terres anglaises, mais c’est long. Je décide de partir quelque instant dehors, affrontant le temps Londonien. Je sors une cigarette de ma poche, mais je réalise alors que j’en ai pas réellement envie. Je jette un coup d’oeil à ma montre. Treize heures vingt. Cela fait bientôt une heure que je suis là, attendant mon cousin. Je me tourne les pouces, attendant que la pluie commence à tomber et machinalement, je sors un petit joint bien roulé de ma poche. C’est Marie-Ange qui me l’a fait. Silencieusement, je remercie ma chérie de penser à moi, me faisant ces petits cadeaux empoisonnés. Je sors un briquet et j’allume le tout. La première respiration atterrie immédiatement dans mes poumons, me donnant une impression de liberté insoupçonné. L’odeur flotte à mes côtés, semblant me collé à la peau, imprégnant mes vêtements, m’accusant de ce petit plaisir volé.


L’odeur musquée de la marijuana m’agresse, me faisant comprendre que je me perds dans un rêve dont je ne contrôle plus rien. La vie se transforme en illusion, la réalité qui n’a plus aucun gout sans ces petites substances tranquillement à devenir élémentaire à ta survie. Je tire une nouvelle fois sur mon joint envenimé.

C'est notre vie, et elle s'achève minute après minute.

Je ne fais rien d’autre qu’attendre, je regarde les secondes mourir. Se consument les unes après l’autre. Je m’impatiente, me disant que peut-être qu’il m’a laissé tomber. Il ne viendra pas. Car peut-être que finalement, je me suis trompé sur son compte. J’avais trop espéré, je me suis construit beaucoup trop d’espoir sur un seul homme. La chute ne sera que plus douloureuse. Il me laisse lui aussi tombé, car peut-être que je ne suis personne. Qu’un déchet humain.

Je sens une main qui se pose sur mon épaule. Lentement, je me retourne et je retrouve ce visage. Ses yeux, son sourire, son être tout entier qui m’a manqué beaucoup plus que je ne veux l’avouer. Je souffle la fumée de mon joint au-dessus de sa tête, ne voulant pas l’étouffer. Un sourire apparait sur mon visage. Pour une fois, je me sens vivre. Dans une impulsion insensé, je sers mon cousin contre moi. Entourant mes bras autour de lui. Je ne réalise pas réellement qu’il est véritablement là. Que pendant quelque instant, je n’aurais plus à le partager avec les autres.

- Ça fait un moment que je t’attends, dis-je un rire moqueur sur le visage. Peut-importe le temps que j’ai perdu ici, il est vraiment là, c’est tout ce qui compte.

L'excitation n'avait fait que grandir durant les jours qui avaient précédé son voyage. Il allait le revoir. Enfin. en réalité il avait attendu ça avec impatience. Edouard était une sorte de repère pour lui, pas un modèle, ils étaient trop différents, mais un rocher auquel se raccrocher dans les moments difficiles. Et ces derniers mois avaient été difficiles. Il n'avait même pas pu lui écrire, pour lui raconter ce qu'il vivait, la douleur qui le troublait. Il faisait partie des rares personnes à qui il arrivait à parler, à se confier, en même temps ils avaient partagé beaucoup de choses. Trop de choses pour des cousins. Quand Edouard lui avait proposé de le voir pour les évènements de Londres il avait sauté sur l'occasion. Son grand-père paternel avait tenté de le raisonner, et sa saloperie de cousine avait voulu l'empêcher de venir. Mais il ne les écoutait que très rarement, ils n'étaient pas de ceux qui comptaient le plus, contrairement à son aîné. Il avait toujours ressenti une affection particulière pour le bâtard, comme disais si bien Eloise. Peut-être justement à cause de l'injustice qu'était sa vie. Depuis tout petit il s'était senti proche de ce cousin caché, tous deux condamnés à vivre sans père. Mais il comptait bien faire tout son possible pour l'aider à changer les choses. Et il était de notoriété publique qu'il n'avait qu'une parole.

Le portoloin le déposa au coeur de la gare. Il était en retard sur l'heure annoncée. Le service des portoloins s'était manifestement planté sur son heure de départ. Il n'avait malheureusement pas pu prévenir le jeune homme qui l'attendait à Londres. Le faire attendre l'avait rendu malade, lui qui était si à cheval sur la ponctualité. Ne connaissant pas la vile, ni le lieu dans lequel il devait se rendre, on l'avait fait arriver à la gare de la capitale anglaise. Il retrouva le jeune homme qui l'attendait fumant un truc qu'il ne voulait pas nommer, juste à la sortie du bâtiment. Il s'approcha de lui et posa sa main sur son épaule, avec délicatesse. Ed semblait rongé de l'intérieur, comme d'habitude. Comme toujours. Il donnait l'impression de s'être perdu un peu plus loin dans les ténèbres à chaque fois qu'il le voyait. La tristesse lui serra le coeur, mais sur son visage il ne laissa rien transparaître. Il restait le maître de toutes ses émotions, visage de marbre, masque de fer. Impossible à déchiffrer. Et pourtant dans ses yeux, il y avait un petit quelque chose qui avait changé. Ce n'était plus ce froid polaire et insensible qui y régnait. Il y avait quelque chose de tellement plus noir.

Il se laissa étreindre, le geste de son cousin l'arrangeait. De lui-même il n'en aurait pas été capable, ce n'était pas dans sa nature, surtout en public, mais il en avait terriblement envie. Il se laissa aller à cet instant de retrouvailles, serrant lui aussi Edouard dans ses bras. Cela lui faisait du bien d'être avec lui, il n'avait pas vécu le cauchemar avec lui, il n'était pas là quand il avait été blessé, aussi pouvait-il oublier la douleur. Enfin. Quelques secondes de répit.

Si tu savais comme ça me fait plaisir de te voir. Tu n'as même pas idée.