Assise sur le rebord du lit de la luxueuse chambre du O’Maley’s Hostel, Lisbon poussa un profond soupir. Elle passa doucement sa main sur les draps de taffetas blanc. Le tissu était doux et tiède, comme la peau. Le soleil couchant incendiait ses boucles rousses désordonnées, et lui faisait plisser les yeux. Elle regardait par la fenêtre la ville se teinter de rouille, disparaître pour la nuit. Les affaires commenceraient dans quelques heures, le temps n’était plus consacré au repos. Elle était bien, pourtant, dans cette chambre. Elle avait pris un peu de repos, fuyant l’agitation qui animait le Red Lantern juste avant l’arrivée des premiers clients.

Lisbon se leva, abandonnant la couche encore intacte. Elle n’avait pas souhaité faire de sieste, qui savait à quelle heure elle se réveillerait ? Une dernière caresse prodiguée aux draps, afin de supprimer tout pli. Le silence régnait dans la chambre, dans l’étage tout-entier sûrement. Elle était seule et se délectait de cet instant solitaire, de ces quelques heures qu’elle avait passées loin du monde. Sans remettre ses chaussures, elle se dirigea vers la salle de bain de la chambre pour se refaire une beauté. Elle frissonna quand la plante de ses pieds rencontra le marbre froid qui ornait le sol de la pièce.

Un coup d’œil dans le miroir lui apprit que les retouches seraient minimes. Elle se remaquilla en vitesse – un peu de poudre par-ci, d’ombre à paupières par-là – et attacha ses boucles folles en un chignon lâche grâce à quelques épingles. Le résultat était loin d’être parfait mais elle se remaquillerait avant le soir. La porte de la salle de bain grinça quand elle la referma.

Pendant ce temps, le soleil avait encore baissé. Seuls quelques rayons filtraient à présent au travers des rideaux de lin blanc, pas assez pour éclairer la pièce. Lisbon sortit sa baguette et éclaira les lumières. Les jours diminuaient. L’été atteignait sa fin et bientôt Cassiopea retournerait à Poudlard, pour sa dernière année. Un sentiment de mélancolie l’emplit. Elle ne pouvait pas croire que sa fille terminerait sa scolarité en juin prochain. Cette année scolaire avait été si rapide, et pleine de rebondissements. On avait assisté au sacre puis à la chute fulgurante de l’Organisation Secrète. Elle avait enfin terminé sa mission, et le Red Lantern était passé aux mains de la Mafia. Des assassinats, des meurtres. Elle n’en avait perpétré aucun, mais certains étaient tombés devant ses yeux.

Lisbon releva la tête, se rendant compte qu’elle s’était perdue dans ses pensées. Le soleil avait totalement disparu derrière les immeubles environnants et la nuit ne tarderait pas à tomber. Elle chaussa ses escarpins et rassembla les affaires qu’elle avait dispersées dans la chambre durant son repos de l’après-midi. Quelques fruits secs, un flacon de parfum, une paire de boucles d’oreilles… Sans faire plus attention, elle fourra le tout dans son sac. Si elle continuait à rêvasser de la sorte, elle serait en retard au Red Lantern. Lisbon récupéra en vitesse sa veste et s’apprêta à sortir. Sa main vernie de rouge se posa sur la poignée quand elle se figea.

Elle avait entendu du bruit dans le couloir. Elle qui pensait l’étage désert… Elle n’avait vraiment pas envie d’affronter une autre présence humaine en ce moment. Elle avait passé trois heures trop parfaites, trop calmes et silencieuses pour que cette félicité se rompe si brutalement. Mais elle devait affronter l’autre membre de la Famille qui se tenait derrière cette porte encore verrouillée, l’unique rempart protégeant sa sérénité. Il était temps de replonger dans la réalité.

Brusquement, Lisbon abaissa la poignée en déverrouillant la porte. Elle se retrouva dans le couloir à présent silencieux. Elle ne pouvait pas avoir imaginé le bruit, il y avait bien une présence humaine quelque part, non loin… Elle s’avança de quelques pas en direction des escaliers, aucun bruit ne se faisait plus entendre. Elle avait peut-être rêvé, peut-être trop craint qu’on vienne la déranger. Mais il fallait oublier cet incident. Rentrer. Il se faisait tard, et elle devait être présente, coiffée et maquillée pour la circonstance. Elle ne pouvait pas se permettre d’être négligée.

Alors qu’elle reprenait peu à peu son allure normale, Lisbon aperçut une silhouette au bout du couloir, qui se dirigeait vers elle un peu trop vite, un peu trop aveuglément peut être. Elle reconnut Bonnie, quand celle-ci fut arrivée à une distance raisonnable. Mais celle-ci ne semblait pas l’avoir vue et continuait dans sa direction, au beau milieu du couloir. La collision semblait inévitable…