Le monde des sorciers allait mal, très mal. C’était ainsi que je voyais le monde depuis mon réveil. Une organisation étrange, à laquelle je commençais à m’intéresser de plus en plus, s’opposait au ministère de la magie. Je ne comprenais certes pas tous les enjeux, et ma période de coma n’en était pas la seule raison, mais je commençais à me dire de plus en plus que tout le monde serait touché par cette opposition d’idéaux. Pour l’idéologiste que j’étais – et que je suis toujours – il était certainement temps de choisir mon camp. Et même si mon état de conscience actuel ne me laissait pas toujours le choix de mes actes, je savais plus ou moins quel camp choisir. Un oiseau en cage choisirait-il de rester enfermé quand on lui présente la liberté ?

Mais là n’est pas encore la question. Un matin, alors que j’entrais dans une énième crise de folie passagère, une colombe m’apparut. Comme enfermée dans mon corps, incapable de maîtriser mes faits et gestes, je la regardai un moment virevolter autour de moi. Elle était magnifique. Blanche, libre, saine d’esprit. J’avais comme la très nette impression, et ce n’était pas dû à la folie, qu’elle tentait de m’envoyer un message, de me transmettre ou de me montrer quelque chose. Ma destinée peut-être ? Bref, je la regardai donc voler et me rendis vite compte que quelque chose n’allait pas. Ses pattes et son bec étaient d’une couleur mauve plutôt éclatante, la couleur que l’on attribue à l’avenir.

Intriguée au plus profond de moi-même, je commençai à la suivre. J’avais perdu toute notion du temps ou de l’espace. Seule m’intéressais cette colombe étrange qui me guidait. La partie de moi qui raisonnait, celle qui était enfouie au plus profond de mon être, me disait que j’étais la seule à la voir, qu’elle n’existait. Mais la partie de mon esprit qui avait été littéralement brisée ne désirait qu’une chose. Une seule et unique chose. Attraper cet oiseau et le garder pour toujours, sans même savoir pourquoi. Tel était mon quotidien. Certains moments de ma journée étaient dictés par la folie que l’Imperium m’avait laissée, cadeau enflammé d’un amour passé. Rien ni personne alors n’aurait pu m’empêcher de suivre cette colombe.

Alors que j’accélérai l’allure, ne souhaitant pas perdre de vue l’étrange oiseau, je dévalai le Chemin de Traverse à une vitesse que je me connaissais à peine. Mon cœur battait la chamade à mes tempes et ma respiration commençait à se faire difficile. Mon corps n’était pas encore habitué aux efforts brutaux. C’est à ce moment précis que la folie se rétracta. La colombe disparut dans une volute de fumée et je m’arrêtai enfin, reprenant le contrôle de mon corps. Je posais mes mains sur mes genoux, essayant calmement de reprendre mon souffle.

« Une main de zombie tuméfiée mademoiselle ? » me demanda une voix chevrotante de vieille dame.

Je la regardai avec étonnement et ne répondis pas. Un rapide coup d’œil autour de moi me permit de comprendre. Je n’étais plus sur le Chemin de Traverse. Par une opération que je ne m’expliquais pas, je m’étais retrouvée au beau milieu de l’Allée des Embrumes, cet endroit que je cherchais au maximum à éviter. Mon cœur se mit à battre encore plus fort et je fus parcourue d’un frisson. Sous les sollicitations de personnes toutes plus ténébreuses les unes que les autres, je m’éloignai, décidant de trouver un endroit aussi tranquille que possible pour reprendre mon souffle.

Alors que je me remettais lentement de ma course effrénée, j’entendis quelque chose qui me glaça le sang. Un hurlement terrible. Je ne saurais trop dire s’il m’effraya ou s’il me déchira le cœur, peut-être les deux. Je me redressai doucement, soudain terrifiée plus que de raison. Qu’est-ce qui était en train de se passer ? C’était une rue plus bas, dans une petite ruelle sombre. En me concentrant légèrement, je parvins à entendre des bruits de course, comme si la personne qui fuyait était mue par le désespoir. Ou autre chose.

J’hésitais à aller voir de quoi il retournait. La curiosité n’a jamais vraiment été l’un de mes défauts. J’étais même plutôt du genre à ne pas m’intéresser aux affaires des autres. Pourtant, cette fois, quelque chose m’intriguais vraiment. Peut-être était-ce dû à la colombe que j’avais vue durant ma crise. Peut-être était-ce dû à la folie qui prenait parfois possession de mon corps. Je ne saurais le dire. Mais je ressentis le besoin étrange d’en savoir plus. Après, le meilleur remède contre la peur est encore d’aller au-devant d’elle.

Lentement, tentant de faire le moins de bruit possible, je me dirigeai vers la source du bruit. J’essayais au maximum de garder mon calme et de faire ralentir les battements de mon cœur, de peur qu’il ne lâche je présume. La main sur la baguette glissée à ma ceinture, je me faufilai dans la ruelle voisine. Je n’avais aucune idée de ce qui m’attendait mais je savais d’ores et déjà que j’allais regretter d’avoir fait ce choix. Pourtant, et je l’ai déjà dit, je ne pouvais pas faire autrement. Quelque chose me poussait dans cette direction, comme si mon avenir m’attendait en quelque sorte au coin de cette ruelle.

Les ténèbres m’entouraient. J’ai toujours eu peur des ténèbres. Quelles qu’elles soient. J’ai toujours eu peur de ce qui pouvait plonger un corps, un cœur ou tout ce qui constituait un être vivant dans le noir absolu. C’est pour ça, si l’on excepte le fait que j’ai été torturée un long moment par des sorciers pervertis, que je déteste la magie noire. Tout ce qui a trait aux ténèbres et au Mal m’effraie. Inutile de dire, alors, que j’étais de moins en moins rassurée…

... mais le plus étrange, ce fut qu'il s'agissait de la première de mes crises de folie dont je me rappelais après qu'elle fut passée... Je me souvenais alors de tout...